Ces deux notions avaient fait débat lors de la soutenance de ma thèse. Je souhaite ici les soumettre aux commentaires. Je rapporte donc ce que j'avais écrit à l'époque, espérant engager le débat avec les lecteurs que cela intéresserait. Je souhaite revenir ici sur la distinction entre deux niveaux de
conscience de la métacognition. A ma connaissance, il s'agit là d'un paradoxe
laissé jusqu'à maintenant dans l'ombre. Paradoxe, en effet, de parler de
métacognition implicite. Le préfixe "méta" indiquant un niveau
supérieur de référence, la métacognition désigne, pour tous, la connaissance de
la cognition et la gestion de cette cognition. Mais à quel niveau de conscience
se situent ces connaissances ou cette activité métacognitives ? S'agit-il de
connaissances "en acte" ou de connaissances réfléchies, s'agit-il de
régulations cognitives pré-réfléchies ou de régulations conscientes et
explicites En effet, on le sait, la cognition recouvre l'ensemble des actes et
processus de connaissance, c'est à dire les moyens mentaux pour acquérir
l'information (perception, apprentissage, mémoire, intelligence, fonctions
symboliques, langages). Elle accompagne le comportement qu'elle explique en
partie : la dimension affective pouvant jouer un rôle non négligeable. C'est
pourquoi la métacognition signifie, dans une de ses acceptions, la connaissance
par le sujet de ses actes et processus de connaissance, et dans l'autre, le
contrôle et la régulation de cette cognition. Certains entretiens réalisés pour ma thèse ont mis en lumière que ces
connaissances ou cette régulation peuvent être plus ou moins conscientes. Par
exemple, pendant son "apprentissage", Ren[1]
conceptualise l'action pour percer un trou centré sans l'usage d'un tour, mais
il n'a alors aucune conscience de sa cognition. Il réfléchit, mais n'a pas une
conscience réfléchie de son activité mentale. Il en va de même pour Mon, Fan 2
ou Yon, dont l'objectif est de réussir une action. La prise de conscience de
l'activité mentale mise en oeuvre pour réussir s'effectue au cours de
l'entretien, que l'on peut qualifier de "métacognitif" dans la mesure
où il favorise justement l'explicitation de ces activités mentales
habituellement pré-réfléchies. A l'opposé, Nan 2, Val 2, Fre 2 sont attentives à l'acte "apprendre",
conscientes de leurs stratégies passées, de leurs résultats insatisfaisants et
des stratégies à envisager pour mieux réussir. Chacune connaît même les raisons
pour lesquelles, selon elle, la stratégie envisagée sera plus efficace : l'apprentissage
prendra du sens, l'attention pendant les cours correspond à la moitié de
l'activité de l'apprentissage, l'entraînement favorise l'acquisition des
automatismes, l'attitude positive favorise la réussite. Entre ces deux extrêmes, se situent des apprenants dont l'objectif est
explicitement l'apprentissage, mais dont l'attention oscille entre le contenu
et la démarche (Fov, Jul). Selon que l'apprentissage se déroule aisément ou
qu'il se heurte à des difficultés, ces sujets gèrent leur activité de manière pré-consciente
ou en viennent à "débrancher leur pilote automatique" pour réguler
consciemment leur cognition. Le plus grand nombre des sujets "savent" en théorie que les
activités mentales existent (leur description se déroule relativement
facilement, ils ont les outils conceptuels pour en parler), mais ils se
laissent guider par elles plus qu'ils ne les gèrent (Nan 1, Val 1, Fan 1), plus
conscients du contenu de l'apprentissage que de sa conduite, plus orientés vers
un résultat que préoccupés par le moyen d'y accéder. Pau, pour sa part, n'a jamais eu l'expérience consciente de ces
activités mentales avant l'entretien, bien qu'elle sache qu'apprendre c'est
"remettre en route les mécanismes mentaux". Elle découvre, en les décrivant, en quoi consiste concrètement
la réflexion, la compréhension et les stratégies qu'elle adopte inconsciemment
pour réussir ces gestes mentaux. Ainsi, peut-on parler de métacognition explicite lorsque le sujet est conscient de son activité de
connaissance, il y porte une attention volontaire. Il peut alors anticiper,
programmer, contrôler son activité cognitive. Ce qui caractérise ce niveau de
conscience c'est le fait que la cognition soit nommée et qu'elle devienne ainsi
objet conceptuel sur lequel la pensée peut réfléchir, faire des hypothèses,
qu'elle peut travailler, concevoir autrement. A l'inverse, on parlera de métacognition
implicite, quand le sujet connaît de
manière pré-réfléchie un certains nombre d'éléments concernant sa cognition
(les traits psychologiques ou mentaux qui le caractérisent, les stratégies qui
lui réussissent, par exemple), ce qui lui permet de réguler inconsciemment,
sans contrôle conscient, sa cognition La métacognition implicite existe également dans le cas où les sujets
régulent leur apprentissage ou toute activité de traitement de l'information de
façon pré-consciente. Dans ce cas, ils ont eu l'occasion par le passé de
prendre conscience de leurs actes ou processus mentaux, mais dans
l'apprentissage décrit, ils ne font pas explicitement appel à ces connaissances
et les utilisent de façon automatisée. C'est le cas de Jul ou Fov, quand ils ne
portent pas attention à leur apprentissage, de Ren ou Yon qui appliquent
automatiquement une méthode de résolution de problèmes acquise (par
conditionnement ?) en formation, c'est encore le cas de Nan 1 ou Val 1 qui
apprennent en appliquant sans y réfléchir les stratégies qu'elles se sont
données autrefois pour réussir. En résumé, ces entretiens montrent que les apprentissages des sujets
portent sur des objets différents et se trouvent à des niveaux de conscience
différents. a ) L'attention de l'apprenant peut être tournée vers l'action qu'il
est en train d'apprendre (calculer une surface), et seulement elle. Dans ce
cas, on peut observer trois niveaux de conscience : soit le sujet agit de
manière pré-consciente, parce que la démarche pour agir, à laquelle il a été
attentif un jour, est maintenant automatisée ; soit il agit de manière
pré-réfléchie, parce qu'il n'a jamais porté attention à sa manière d'agir ;
soit il agit "consciemment" et porte attention à ses conduites, à ses
actions, à ses actes b ) Mais son attention peut être tournée (ou non) vers l'acte
d'apprendre lui-même : il ne s'intéresse plus seulement au contenu de
l'apprentissage et aux actions qui l'accompagnent (poser une multiplication,
chercher les données pertinentes ...) mais il s'intéresse aussi aux démarches à
adopter pour apprendre, aux moyens
et aux stratégies possibles, aux raisons qui peuvent justifier ces choix Là encore trois niveaux de conscience
possibles. Soit il apprend de façon automatique, "par habitude",
parce que sa manière d'apprendre, anciennement objet d'attention est
complètement automatisée. La gestion de l'apprentissage se fait de façon
pré-consciente (il peut toujours "débrancher le pilote automatique"
quand il y a un problème et choisir d'autres stratégies si l'apprentissage
n'aboutit pas aux résultats escomptés). Soit il apprend de façon pré-réfléchie
car il n'a jamais été attentif à sa manière d'apprendre, et n'a peut-être même
pas conscience que l'acte apprendre est un acte en soi qui peut être observé,
analysé, décomposé, amélioré et il n'a donc pas de moyens pour remédier à un
problème d'apprentissage et ne régule pas sa manière d'apprendre. Soit il
apprend de façon consciente, et porte attention à ses stratégies, et aux causes
de ces stratégies ; il régule ainsi consciemment son apprentissage. La métacognition est déjà connue comme étant la composante de connaissances métacognitives et de conduites métacognitives. Il me semble qu'il faut ajouter un
élément important à l'existence de la métacognition, je veux parler des états métacognitifs En effet, si la science a bien montré que le développement de la
métacognition repose sur des connaissances de phénomènes psychologiques (savoir
que les états mentaux internes existent, savoir qu'il existe des processus
mentaux différents et savoir que ces processus sont reliés entre eux), il me
semble qu'elle n'a encore rien dit quant aux états mentaux préalables à la
métacognition. Je veux parler d'une
certaine attitude et d'une
certaine posture mentales. La
notion d'attitude dénote une disposition interne du sujet à l'égard de la
métacognition (prêt à accueillir des informations internes ou externes à propos
de la gestion de l'apprentissage), celle de posture ajoute une dimension
dynamique à cette disposition interne (prêt à réagir aux informations qui se
présenteraient). Ainsi, Fov et Jul, tout en étant attentifs au contenu de leurs
apprentissages respectifs, ont une forme de vigilance à l'acte d'apprendre. La vigilance est un état de
réactivité de l'organisme allant du sommeil à la veille la plus intense ; elle
est, en psychologie, synonyme de la notion d'attention utilisée dans le langage
courant. Cela signifie que, pour accéder à un état métacognitif, le sujet doit adopter une sorte de filtre qui lui
permette de différencier, au milieu des informations concernant
l'apprentissage, celles qui se rapportent au contenu et celles qui concernent
la démarche, et un système de focalisation qui favorise, selon les besoins, la
centration de l'attention sur l'une ou l'autre dimension de l'apprentissage. C'est
cet état métacognitif qui devrait permettre le processus dynamique qu'est la
prise de conscience, en dehors de toute contrainte du réel, sans attendre que
les difficultés se présentent, voire en les anticipant Les
entretiens révèlent combien cet état métacognitif dépend d'expériences et
d'habitudes métacognitives. En effet, Pau, en ayant l'expérience explicite de
sa pensée, devient immédiatement capable d'accéder à un autre exemple de
compréhension dans lequel elle procède de la même façon que pour comprendre la
leçon. On peut faire l'hypothèse que cette expérience métacognitive va
favoriser un état métacognitif qui lui permettra ensuite de repérer des
situations dans lesquelles elle "fonctionne" différemment. De même,
Fov et Jul, habitués par leur formation à réfléchir à leur manière d'apprendre,
focalisent spontanément et quasi automatiquement leur attention sur la démarche
d'apprentissage quand cela se révèle nécessaire. En revanche, Fan, tout en
ayant décrit sa manière d'apprendre, ne semble pas, à la fin de l'entretien,
avoir pris toute la mesure de la différence entre exécuter des consignes pour
apprendre et développer des stratégies pour apprendre. Ainsi, n'ayant pas eu de
réelle expérience métacognitive pendant l'entretien, je ne suis pas sûre qu'il
soit en mesure de focaliser spontanément son attention sur sa démarche, à moins
que la « résistance du réel » ne l'y contraigne. [1] Les noms des interviewés ont été codés, pour respecter leur anonymat. Certaines personnes ont participé à deux entretiens, c’est pourquoi leur code est associé à un numéro. |
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